La rive droite de l’agglomération bordelaise est marquée par une surreprésentation des publics dits « précaires » et l’ampleur des quartiers prioritaires relevant de la politique de la ville. Suite aux éléments de constat posés par deux Ateliers santé-ville, les communes ont contribué à une étude en matière de santé afin de mettre en lumière les difficultés induites par les disparités et inadéquations en termes d’offre de soins et de prévention. Il apparaît que ce territoire est caractérisé à la fois par une carence de structures publiques, ainsi que par une sur-représentation de spécialistes pratiquant des honoraires de secteur 2. Suite à ce diagnostic, l’une des communes de l’agglomération s’est engagée dans la formulation d’un projet alternatif et complémentaire à l’activité libérale : la création d’un centre de santé. 

> PROBLÉMATIQUE : Comment mobiliser acteurs politiques et institutionnels pour améliorer l’accès aux soins à une échelle intercommunale ? Comment diversifier l’offre de santé de premier recours et développer des offres alternatives à la pratique libérale isolée ? 

 

Présentation du territoire

Historique et contexte : Les communes de Bassens, Lormont, Cenon et Floirac font partie de la Communauté urbaine de Bordeaux. Leur territoire s’étend sur une dizaine de kilomètres et constitue une entité territoriale liée par la géographie (coteaux de la rive droite de la  Garonne) et l’histoire tant urbaine que sociale. Ces quatre communes, qui sont inscrites dans les dispositifs de la politique de la ville, représentent plus de 65 000 habitants, soit près de 10 % de l’agglomération bordelaise..

Elles sont réunies depuis le début des années 2000 dans un groupement d’intérêt public (GIP) dans le cadre d’un grand projet de villes (GPV). Assumant la compétence rénovation urbaine, le GIP est aussi une instance de concertation locale sur des problématiques communes.

Démarche locale de santé : les villes de Lormont et Floirac se sont dotées d’un Atelier santé ville à partir de 2008, suite à des diagnostics locaux de santé. Aujourd’hui, seul l’ASV de Floirac poursuit son action. La communauté urbaine de Bordeaux s’apprête  à signer son contrat local de santé métropolitain.

Intégration dans le contrat de ville : le grand projet de ville (GPV) qui réunit les villes de Bassens, Cenon, Floirac et Lormont depuis 2001 a été renouvelé pour la période 2014-2025. Le programme d’actions a notamment pour objectifs, sur le volet développement social, de veiller à l’accès aux soins des habitants les plus fragiles et d’assurer une offre de soins accessible à tous. L’implantation d’un centre de santé est l’une des actions identifiées (résultat du travail de diagnostic décrit ci-dessous).

 

 

Éléments-cadre du projet présenté

Échelle d’intervention : intercommunale

Porteur de l’étude de faisabilité : ville de Cenon

Partenaires de l’étude de faisabilité : IREPS Aquitaine, villes de Bassens, Floirac et Lormont, CPAM, CHU, professionnels de santé libéraux

Co-financements de l’étude de faisabilité : Préfecture, ARS, Acsé

 

 

Histoire du projet

Des diagnostics Ateliers santé ville alertant sur les inégalités d’accès aux soins

La rive droite est composée de quatre communes : Bassens, Lormont, Cenon et Floirac. Réunies dans un GIP, elles ont créé des habitudes de travailler et réfléchir ensemble : le GIP est l’instance privilégiée de concertation entre les communes de la rive droite sur différentes thématiques (renouvellement urbain, développement durable, santé, …).

Le territoire est marqué par l’absence d’hôpital public. Les urgences et une permanence d’accès aux soins de santé (PASS) sont assurées par une clinique privée à but lucratif située à Lormont. Cela entraîne notamment des problèmes de tarification pour les séjours post-urgences.

Ces difficultés ont été soulevées par les Ateliers santé ville des villes de Lormont et Floirac, tout particulièrement à l’occasion des diagnostics partagés (réalisés en 2008 et 2010). Reprenant des enquêtes nationales, Floirac alertait sur le taux de renoncement aux soins pour des raisons économiques (notamment des restes à charges importants). Lormont constatait des difficultés d’accès à la sécurité sociale (des travailleurs pauvres dépassant légèrement les plafonds d’éligibilité permettant l’accès à une couverture minimale).

Les entretiens avec les professionnels et les habitants avaient relevé plusieurs autres difficultés sur la question de l’accès aux soins primaires : d’ordre culturel et linguistique (fortes communautés non francophones) ou dues au vieillissement de la population (isolement des personnes âgées). Ces freins entraînent un non-recours ou un recours tardif aux soins. Le diagnostic soulignait également que les pathologies sont principalement dues à l’absence de prévention ou de suivi. Par exemple, les dispositifs de prévention (tests, dépistages, vaccins) sont très peu mobilisés par la communauté turque.

Enfin, les deux villes notaient le désengagement de services publics sur leurs territoires, à l’image du départ du centre d’examen de santé de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM).

Les ASV ont joué un rôle de « lanceur d’alerte », en s’appuyant sur leur connaissance fine du territoire local et en soulignant les difficultés d’accès aux soins rencontrées par les populations vulnérables. Leurs diagnostics ont permis de caractériser localement des inégalités de santé dont se sont saisies les communes afin de les traiter en partenariat à une échelle plus large.

En 2011, le GIP a répondu, avec le soutien de l’IREPS Aquitaine, à un appel à projet lancé par l’Acsé pour réfléchir à la problématique de l’accès aux soins. Cet appel à projets visait à soutenir l’offre de soins de premier recours au sein des quartiers prioritaires. Dans ce cadre, la ville de Cenon, en partenariat avec le GIP Rive droite, a piloté une étude de faisabilité pour la création d’un centre de santé.

La réalisation d’une étude de faisabilité pour la création d’un centre de santé sur la rive droite

Réalisée par l’IREPS Aquitaine en 2013, l’étude a approfondi les diagnostics de santé réalisés par les ASV de Floirac et Lormont en les confrontant à des données quantitatives de la CPAM auxquelles les ASV n’avaient pas eu accès. De plus, l’étude a démontré la pertinence d’un centre de santé pour mailler le territoire de la rive droite.

Un diagnostic local conforté par l’étude de faisabilité : une offre de santé exclusivement libérale et peu accessible

L’étude de faisabilité avait pour objectif général de déterminer si le dispositif « centre de santé » est une réponse pertinente et viable au regard des problématiques rencontrées en matière d’accès aux soins de premier recours par les publics les plus démunis de la rive droite de l’agglomération bordelaise. Ses objectifs opérationnels étaient les suivants :

  • mettre en évidence les difficultés en collectant et analysant les données pour aider la prise de décision ;
  • proposer et valider la pertinence du dispositif « centre de santé » avec l’ensemble des acteurs concernés par les enjeux soulevés spécifiquement à Cenon ;
  • définir les caractéristiques du dispositif retenu, tout particulièrement concernant les services couverts et les niveaux de prise en charge, l’organisation, les règles de fonctionnement, le portage et les partenariats, les financements et les perspectives budgétaires.

L’analyse de l’offre de soins sur l’agglomération bordelaise révèle une situation atypique empreinte de fortes disparités spatiales. Ces disparités s’observent tout particulièrement entre la rive gauche et la rive droite de l’agglomération. Ce territoire n’est pas en voie de désertification médicale, mais manque de diversification de l’offre.

L’accès aux données quantitatives de la CPAM a validé les ressentis décrits par les professionnels et les habitants dans les diagnostics réalisés par les ASV. Cet accès a été possible en raison de sa participation dans le comité de pilotage de l’étude. Le service statistique de la CPAM de Gironde a fourni les décomptes et densités des professionnels de santé dans les quatre communes de la Rive droite.

En moyenne, le nombre de professionnels de santé dans les communes de la Rive droite est équivalent à la moyenne de l’agglomération. Cependant, ils exercent tous en libéral. 92% des médecins généralistes appliquent des tarifs relevant du secteur 1, ce qui offre des tarifs accessibles. En revanche, pour certaines spécialités, la part des professionnels en secteur 1 est plus faible que dans le reste de l’agglomération. Cela a des conséquences sur le taux de recours aux soins : par exemple, en gynécologie, le taux de recours des femmes de la Rive droite est de 19,8%, contre 23% pour le reste de l’agglomération.

L’étude a mis en lumière un phénomène atypique de surreprésentation et de concentration des professionnels de santé corrélé à une moindre consommation locale des soins spécialisés. L’enjeu pour le territoire n’est pas tant numérique que de structuration et diversification de l’offre de soins.

« Les études sur les patients couverts par la CMU et les rapports de l’Observatoire national des zones urbains sensibles (Onzus) tendent à montrer que l’état de santé relativement dégradé de la population résidant dans ces quartiers et son comportement de recours aux soins ne sont pas tant liés à l’offre numérique qu’à des caractéristiques sociologiques et économiques. […] 

Un des premiers enjeux pour la Rive droite de l’agglomération bordelaise réside dans la nécessité de diversifier une médecine ambulatoire actuellement essentiellement tributaire de pratiques libérales exercées en cabinets ou au sein de la Clinique des 4 Pavillons, établissement privé à but lucratif. […] 

Cet enjeu de diversification de l’offre ambulatoire répond à deux impératifs de santé, celui des prises en charge qui relève des besoins ainsi qu’à un impératif professionnel qui relève des aspirations des professionnels. »*

Un projet de création d’un centre de santé, comme formule pertinente pour développer une offre de soins adaptée au territoire

L’étude de faisabilité a permis aux acteurs du territoire de prendre connaissance de cette possibilité : elle a eu un rôle d’outil d’aide à la décision. Le centre de santé se distingue principalement d’une maison de santé pluridisciplinaire (MSP) par le statut des médecins : salariés d’un côté, libéraux conventionnés de l’autre. Un des intérêts de ces nouvelles formes d’exercice de la médecine réside dans le fait de réunir dans un même lieu des professionnels de différentes disciplines, ce qui doit faciliter leur coordination. Pour les professionnels, les conditions de travail sont améliorées (temps de travail, soutien, rupture de l’isolement). Les acteurs publics ont privilégié la formule du centre de santé par rapport à une MSP en l’absence d’un projet porté par des médecins libéraux. De plus, le projet médical est obligatoire pour un centre de santé et doit intégrer des missions de santé publique, ce qui n’est pas le cas pour une MSP. Pour les habitants, un centre de santé est accessible puisqu’il est nécessairement conventionné secteur 1 et a l’obligation d’appliquer le tiers-payant intégral. Un rapport de l’IGAS de 2013 a montré que les centres de santé étaient une « réponse adaptée aux attentes des patients, des professionnels de santé et aux impératifs de la médecine moderne »**.

L’étude de faisabilité pour la rive droite de l’agglomération de Bordeaux conclut que « la structure polyvalente d’un centre de santé est la plus adaptée au regard des trois spécialités priorisées que sont la pédiatrie, la gynécologie et la psychiatrie ».

En parallèle, le développement des centres de santé est une politique soutenue au niveau national : dans le cadre du Pacte Territoire Santé présenté par le Ministère de la santé en 2012, les centres de santé sont présentés comme une offre alternative pour lutter contre la désertification médicale.

Ainsi, le cadre législatif relatif aux centres de santé a évolué en 2015 : dorénavant, les centres de santé bénéficient d’avantages identiques aux MSP, en particulier financiers, en complément de la rémunération à l’acte pour assumer les frais de structure***. Cette évolution du mode de rémunération des centres de santé a aidé les acteurs du territoire de la Rive droite à s’approprier l’étude, le flou sur le modèle économique s’affaiblissant. 

L’ARS Aquitaine décline ce soutien au développement des centres de santé à travers un appel à projets depuis 2015. Sont visés les territoires définis comme « fragiles » dans le schéma régional d’organisation sanitaire (SROS) et les quartiers politique de la ville. L’ARS propose un soutien financier de 50 000 € pour la création d’un centre de santé. Trois projets, dont celui de la Rive droite, ont été soutenus en 2015 ; trois autres en 2016. 

C’est la Fondation protestante de Bordeaux-Bagatelle via son centre de santé, en partenariat avec le groupe mutualiste Pavillon de la Mutualité, qui mène le travail de préfiguration du centre de santé. Disposant d’une expérience dans la gestion de centres de santé, ils réunissent un comité de pilotage et définissent le projet médical tenant compte de la dimension de prévention et promotion de la santé.

Etude de faisabilité d’un centre de santé sur la rive droite de l’agglomération bordelaise. Rapport final, avril 2014

** Philippe Georges, Cécile Waquet, Les centres de santé : Situation économique et place dans l’offre de soins de demain, Rapport à l’Inspection générale des affaires sociales, 2013 (consulter en ligne)

*** Accord national destiné à organiser les relations entre les centres de santé et les caisses d’assurance maladie, signé le 8 juillet 2015 avec les organisations représentatives des gestionnaires des centres de santé (Adessadomicile, Croix-Rouge française, FMF, FNMF, FNISASIC, UNADMR, UNA, C3SI, CANSSM et FNCS)

† Le Ministère de la Ville soutient également le développement des centres de santé dans les quartiers prioritaires : voir l’instruction ministérielle du 31 mars 2016 relative aux conditions de co-investissement de la Caisse des dépôts et consignations dans le cadre de projets de création, d’extension ou de rénovation de maisons ou centres de santé implantés dans les quartiers prioritaires ou à proximité.

‡ Consulter le cahier des charges ARS

 

 

Résultats

  • Connaissance fine des besoins du territoire en termes d’offre de soins (densité des professionnels de santé, modes d’exercice et taux de recours par commune)
  • Réflexion menée à l’échelle intercommunale
  • Soutien de l’ARS à la création de centres de santé
  • Définition en cours d’un projet de santé pour le futur centre de santé

 

 

Perspectives

Le futur schéma de fonctionnement du centre de santé est en cours de réflexion entre partenaires ; le projet médical est également discuté avec les professionnels de santé du territoire (l’articulation avec les médecins libéraux est primordial). Enfin, la question de la maquette budgétaire reste ouverte et conditionnera le délicat équilibre financier d’une telle structure.

Dans l’idéal, les partenaires ambitionnent l’ouverture d’un centre de santé qui, au-delà des missions de soins et de prévention, offre également un point d’ancrage pour différents dispositifs et acteurs non sanitaires contribuant au développement social local.

 

 

Bonnes pratiques

  • S’appuyer sur des diagnostics partagés, fins et qualitatifs (notamment portés par les ASV), en complément de données quantitatives
  • Mobiliser les partenaires à l’échelle de territoires vécus et pertinents (ici, l’intercommunalité pour travailler sur l’offre de santé)
  • Saisir les nouvelles formes d’organisation et de pratiques de la médecine (exercice regroupé sous forme salariale)

 

 

Ressources documentaires

  • Site de la Fédération nationale des centres de santé
  • Dossier « Centres de santé : une dynamique à conforter », Gazette Santé Social, 2016 (en ligne)
  • Marie-Pierre Colin, Dominique Acker, « Les centres de santé : une histoire, un avenir », Santé publique 2009/hs1 (vol.21), pp.57-65 (en ligne)
  • Philippe Georges, Cécile Waquet, Les centres de santé : Situation économique et place dans l’offre de soins de demain, Rapport à l’Inspection générale des affaires sociales, 2013 (en ligne)

 

 

Contact

Arnaud Wiehn, chargé de mission, IREPS Aquitaine

a.wiehn@ireps-aquitaine.org

05 56 33 34 10

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Récit rédigé, en février 2017, par la PnrASV, suite à des échanges avec Arnaud Wiehn, chargé de mission IREPS Aquitaine, Boris Callen, coordonnateur ASV, CCAS Floirac, Hervé Chiron, responsable du contrat de ville, Ville de Cenon, Stéphanie Lampert, chargée de mission ARS Nouvelle Aquitaine, et Françoise Jeanson, directrice des centre de santé, centre social et multi-accueil de la Fondation Maison de santé de Bordeaux Bagatelle.

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