Le suivi de grossesse tardif est une problématique prioritaire en Guyane. Pour y répondre, l’Atelier santé ville de Matoury, en partenariat avec la PMI, l’hôpital et des professionnels de santé, a ouvert des consultations pour les femmes enceintes dans un des quartiers prioritaires de la politique de la ville. 

> PROBLÉMATIQUE : Comment améliorer le suivi des femmes enceintes d’un territoire où les structures de soins sont peu accessibles ? 

[Mots-clés : accès aux droits et aux soins ; enfant ; évaluation qualité ; femme ; partenariat & réseau ; périnatalité]

[Axes stratégiques de la Charte d’Ottawa visés : Créer des environnements favorables à la santé ; Renforcer l’action communautaire ; Développer les aptitudes individuelles ; Réorienter les services de santé]

 

 

Présentation de l’ASV

Structure porteuse : Commune de Matoury (service Développement social urbain)

Co-financements : DJSCS, ARS, commune

Ressources humaines : 1 ETP

Historique et contexte : comptant plus de 26 000 habitants, Matoury est la 3e commune la plus peuplée de Guyane. Ville carrefour et proche de Cayenne, elle est bien desservie en infrastructures routières, mais l’offre de transports publics est quasiment inexistante. L’accroissement démographique important, associé à une carence en offre de logements, a engendré une augmentation des constructions informelles.

Un Atelier santé ville a été créé en 2008, dans le cadre du contrat urbain de cohésion social (Cucs), et est intégré au service de Développement social urbain (DSU). Ses champs d’actions sont :

  • l’accès aux droits et aux soins des populations vulnérables (améliorer la prise en charge et l’offre de soins) ;
  • la prévention auprès des jeunes (addictions, santé sexuelle, nutrition) ;
  • la promotion d’un environnement sain (accès à l’eau potable, nuisances sonores, lutte contre l’habitat indigne, éco-responsabilité).

Autres dispositifs locaux en santé publique : un contrat local de santé (CLS) a été signé en novembre 2012 ; il a été prolongé par un avenant en décembre 2014 et s’achèvera fin 2016. Il a été conçu comme un outil pour optimiser le travail mené par l’ASV dans les quartiers prioritaires. Il décline les mêmes axes stratégiques que l’ASV et s’étend à l’échelle de la ville.

Schéma de gouvernance et de pilotage du CLS de Matoury (source : CLS Matoury 2012-2014 – l’avenant 2014-2016 au contrat local de santé a supprimé le comité technique de prospective)

Intégration dans la politique de la ville : le contrat de ville 2015-2020 a été signé à l’échelle de la ville de Matoury : son volet santé se réfère au contrat local de santé (CLS).

 

Éléments-cadre du projet présenté

Échelle d’intervention du projet : un des quartiers prioritaires de la politique de la ville (Balata)

Partenaires du projet : PMI, un diététicien, un ostéopathe, CAF, association Guyane Allaitement

Public cible : femmes enceintes habitantes du quartier

Durée du projet : en développement depuis 2013

Co-financements du projet : commune, hôpital, collectivité territoriale de Guyane, ARS

Temps dédié à la coordination du projet : a minima, des points trimestriels sont organisés entre la coordinatrice ASV et la sage-femme PMI

 

Histoire du projet

Le suivi des femmes enceintes : une problématique prioritaire en Guyane

Le suivi prénatal est une problématique prioritaire pour l’ensemble de la Guyane. Un suivi tardif, en moyenne après quatre mois de grossesse, entraîne des problèmes en cascade, d’autant plus importants quand les femmes n’ont pas ou plus de droits ouverts.

Des associations humanitaires sont implantées depuis longtemps en Guyane et développent des projets d’accès aux soins. La Croix-Rouge assure des actions mobiles de dépistages, gère trois centres de prévention santé, dont un à Cayenne, une plateforme alimentaire et, depuis 2013, deux espaces bébé-maman (EBM) à Cayenne et dans le centre-ville de Matoury. Médecins du Monde assure principalement des consultations mobiles : l’équipe mobile s’installe dans un quartier plusieurs semaines et propose des consultations de médecine générale, ophtalmologiques, psychologiques et des dépistages VIH/IST/hépatites. L’association animait jusqu’en 2016 un centre d’accueil, de soins et d’orientation (Caso) à Cayenne : il a fermé suite à l’annonce de l’ouverture prochaine d’une permanence d’accès aux soins de santé (PASS) dans le centre-ville de Cayenne.

Le développement de l’offre de soins à Matoury : un redéploiement du droit commun au plus près des habitantes

À Matoury, l’ASV, dans le cadre du comité technique du CLS, a développé un projet pour améliorer l’accès aux soins des femmes enceintes du quartier de Balata. Quartier prioritaire de la politique de la ville et excentré du bourg où se situe un centre PMI, il a été choisi, dans le cadre de ce projet, parce qu’aucun médecin n’y était présent et qu’un local municipal était disponible.

Depuis plusieurs années, le centre PMI de Matoury souhaitait délocaliser ses consultations pour être au plus près du public, constatant que les habitantes de quartiers excentrés ne se déplaçaient pas et n’observaient pas un suivi régulier de leur grossesse. L’accessibilité est une question importante, puisque l’offre en transports publics est quasiment inexistante et la population de Balata est très peu motorisée.

Cette demande a rencontré un écho dans le cadre du comité technique « Accès aux droits et aux soins des populations vulnérables » du CLS qui réunit la ville, la PMI, l’hôpital, la Caisse générale de Sécurité sociale (CGSS) de Guyane et des associations du champ de la santé. Tous ensemble autour de la table, les acteurs ont pu échanger sur le problème et trouver des solutions : la connexion s’est faite entre le besoin de la PMI et la disponibilité d’un local municipal à Balata où est hébergée une PASS de l’hôpital de Cayenne.

En 2013, la PMI et l’hôpital signent une convention, actant la mise à disposition gratuite du local et organisant la répartition des consultations de chaque structure. La convention est en cours d’actualisation afin d’intégrer la ville comme cosignataire, en tant que propriétaire du local. En raison de cet oubli dans la première convention, le fonctionnement actuel n’est pas optimal et la bonne cohabitation entre les deux structures repose beaucoup sur l’entente entre les professionnels. Par exemple, l’accès à la connexion internet se fait depuis l’ordinateur de l’hôpital et la sage-femme ne peut pas se connecter à l’intranet de la PMI, les aménagements nécessaires demandant une action du propriétaire.

À partir de 2013, une sage-femme de la PMI a assuré des consultations dans le quartier de Balata. Les premières patientes ont été repérées grâce aux visites à domicile réalisées par le personnel de la PMI. Rapidement, l’information de l’ouverture de cette « antenne » de la PMI a circulé au sein du quartier. La demande croissante a nécessité d’augmenter le nombre des consultations : d’abord hebdomadaire (une demi-journée), la fréquence a augmenté à deux demi-journées par semaine (8h30-14h les mardis et jeudis).

Outre les soins apportés, les consultations sont l’occasion de repérer les personnes en rupture de droits. Le réseau de santé périnatal de Guyane, Périnat Guyane, réunissant des professionnels du champ médico-psycho-social, les maternités publiques et privées, des associations, les centres PMI et les centres de santé, et la CGSS avaient préalablement mené un travail, piloté par l’ARS, pour créer un « parcours attentionné » facilitant les procédures d’ouverture et de renouvellement des droits à l’Assurance maladie pour les femmes enceintes. Une convention « de coopération pour un circuit privilégié concernant l’ouverture et le maintien des droits à prise en charge de soins des femmes enceintes » a été signée et des outils ont été créés pour fluidifier la procédure. Ce partenariat permet de réduire largement les délais d’ouverture de droits (par exemple, une attestation de couverture universelle maladie (CMU) d’aide médicale d’État (AME) est délivrée sous quinze jours).

Une approche pluridisciplinaire de l’état de santé des femmes enceintes

À Matoury, la sage-femme en charge de la consultation, très impliquée, a proposé de compléter son intervention par des séances d’ostéopathie, afin de répondre à des situations (douleurs, troubles fonctionnels) qu’elle ne pouvait pas traiter avec ses moyens. L’ostéopathie est une discipline peu connue de la population et mal reconnue médicalement. Aussi a-t-il fallu qu’elle prenne le temps d’expliquer la démarche, d’abord aux financeurs, puis aux patientes.

Les séances d’ostéopathie ont été expérimentées quelques mois, puis évaluées (par questionnaire de satisfaction), avant de faire l’objet d’une demande de subvention  auprès de l’ARS.

La consultation auprès de l’ostéopathe est gratuite et ouverte aux femmes enceintes, aux mères et, depuis 2015, aux nouveau-nés, après orientation par la sage-femme. Elle a lieu deux fois par mois, les jeudis dans un local du DSU appelé « carbet des familles », à moins d’un kilomètre de la PASS. Cette proximité a facilité les prises de rendez-vous et l’assiduité. L’évaluation auprès des patientes suivies a montré une amélioration de leur état de santé, en particulier un meilleur confort et une réduction de la douleur. Pour les nouveau-nés, l’ostéopathie est bénéfique pour des pathologies telles que les régurgitations, les maladies ORL, les troubles de sommeil, …

La sage-femme peut également orienter ses patientes vers un diététicien. Déjà partenaire de l’ASV dans le cadre de consultations pour les enfants, le diététicien a augmenté ses temps de consultation pour les ouvrir au public des femmes enceintes orientées par la PMI. Lorsque la sage-femme oriente une patiente vers le diététicien, son discours est différent : il est davantage orienté sur le bien-être (le diététicien ne répondra pas une douleur immédiate, contrairement à l’ostéopathe). On constate que seule la moitié des rendez-vous est honorée, les patientes ne voyant pas nécessairement l’intérêt du diététicien. Cette différence d’assiduité peut s’expliquer par le fait que le mieux-être est quasiment immédiat après une séance d’ostéopathie ; alors que le travail avec le diététicien demande un engagement sur la durée et un changement des habitudes alimentaires.

Pour les patientes, toutes les consultations sont gratuites : l’ostéopathe et le diététicien sont des professionnels prestataires rémunérés par la ville, via des crédits fléchés par le CLS (facture en fonction du nombre de consultations effectuées). Il faut noter que la rémunération de la consultation est inférieure au tarif classique, les professionnels ayant accepté un tarif « social ».

Au-delà du soin, la complémentarité des approches collectives

Pour compléter le travail individuel mené lors des consultations, l’ASV a organisé des ateliers collectifs à partir de 2014, au carbet des familles. Autour de petits déjeuners, ces échanges visaient à apporter des informations aux participantes sur leurs droits, sur la parentalité ou sur l’allaitement. 

Des ateliers ont été animés par une conseillère en économie sociale et familiale et une assistante sociale de la CAF* ; d’autres par l’association Guyane Allaitement. La dynamique de groupe a mis du temps à se créer. Les thèmes des ateliers étaient définis en amont par les professionnels. De plus, l’animation des premiers ateliers ne favorisait pas les échanges et l’interactivité. Une approche en termes de santé communautaire reste donc à construire. De nouveaux partenaires participeront aux rencontres collectives à partir de 2017.

* Le partenariat avec la CAF n’a pas été renouvelé en 2016 : le cadre strict de l’intervention de ses agents rendait difficile la sélection des participantes (public allocataire et femmes ayant leur premier enfant). 

 

Résultats

  • Consultation sage-femme bi-hebdomadaire : plus de 400 consultations en 2014.
  • Augmentation du volume global de consultations auprès de la sage-femme PMI (les femmes enceintes qui consultent à Balata n’étaient pas suivies dans le centre PMI du bourg).
  • Couverture complète du public des femmes enceintes du quartier de Balata.
  • Consultation bi-mensuelle d’un ostéopathe : en 2014, 30 patientes et 38 nouveau-nés suivis.
  • Évaluation qualitative positive des séances d’ostéopathie : baisse d’au moins 2 points sur une échelle de la douleur de 0 à 10 déclarée par les patientes.
  • Consultation mensuelle d’un diététicien : en 2014, 71 rendez-vous pris, 35 honorés.
  • Ateliers collectifs animés par la CAF Guyane ou l’association Guyane Allaitement : 6 réalisés en 2014, réunissant chacun en moyenne 30 parents.

 

Perspectives

Suite à l’accouchement, il y a souvent une rupture du suivi puisque les consultations pour les nouveau-nés ont lieu au centre PMI du bourg : il est prévu de mettre en place des consultations puéricultrices de la PMI à Balata, sur le même modèle que les consultations sages-femmes.

À l’échelle de la ville, la PMI souhaite reproduire ce projet de délocalisation des consultations sur le quartier de Cogneau Lamirande, autre quartier prioritaire de la politique de la ville. Le manque de personnel de la PMI et la recherche d’un local retardent ce déploiement.

En effet, si l’ASV est parvenu à mobiliser les professionnels de santé et à soutenir la PMI dans son offre de droit commun, la pérennisation du projet et son développement à d’autres quartiers font face à des difficultés structurelles de la PMI résultant du manque de moyens financiers et humains. L’ouverture de la consultation de Balata s’est faite à moyens constants et a pu entraîner des dysfonctionnements dans le centre PMI du bourg. Le congé maternité de la sage-femme en charge du projet et son remplacement ont entraîné une baisse du nombre de consultations : cela a montré l’importance de l’engagement des professionnels.

Pour pérenniser le projet, il s’agirait de repenser les modalités d’intervention et les organisations de travail, afin que le projet ne tienne pas sur les seules volontés individuelles.

Parmi les acteurs associatifs, la Croix-Rouge envisage de délocaliser l’antenne de l’espace bébé-maman (EBM) présente dans le centre-ville à Balata et/ou dans d’autres quartiers prioritaires.

Enfin, la question des transports est une problématique transversale à toutes les thématiques santé. L’ASV et les professionnels pointent régulièrement le problème. L’agglomération et la collectivité territoriale de Guyane développent des projets de mobilité (notamment une plateforme mobilité) afin de mailler le territoire.

 

Bonnes pratiques

  • Mettre en place des espaces où les professionnels médicaux et non-médicaux puissent se rencontrer. Dans l’expérience présente de Matoury, le comité technique du CLS a permis d’aborder des solutions concrètes, alors que la discussion entre le Département et la Ville pour la délocalisation des consultations de la PMI restait bloquée à un niveau politique.
  • S’appuyer sur le dynamisme et l’envie des professionnels.
  • Adapter l’organisation d’un service selon son déploiement sur le territoire.
  • Établir des partenariats opérationnels, portés politiquement.

 

Contact

Pascale Delyon, chargée de mission Santé Précarité, coordonnatrice ASV & CLS

pascale.delyon[at]mairie-matoury.fr 

0594 38 65 28

 

Récit rédigé, en août 2016, par la PnrASV, suite à des échanges avec Pascale Delyon, coordonnatrice ASV-CLS de Matoury, Perrine Caron, sage-femme PMI et Emmanuelle Bihan, chargée de mission IREPS Guyane Promo Santé 

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