Par la Ville de Cherbourg-en-Cotentin
PROBLÉMATIQUE & CONTEXTE
A Cherbourg-en-Cotentin, la prise en compte des discriminations a été progressive et a démarré au début des années 2000 : plusieurs actions se sont mises en place, abordant le sujet par différents angles – genre, sexualité, racisme et handicap, principalement – jusqu’à la mise en place du service « Santé handicap lutte contre les discriminations »[1], transversal à l’ensemble des services, au sein de la commune nouvelle.
- Point de départ : les inégalités envers les femmes
L’implication de la commune de Cherbourg-Octeville[2] sur ces questions est née en 2000 avec la première édition du festival « Femmes dans la ville » qui « luttait contre les inégalités persistantes envers les femmes dans la société ». Le festival a été un véritable point d’appui pour traiter des discriminations et des inégalités envers les femmes. Le sujet des inégalités femmes-hommes, fortement soutenu par le maire-adjoint, fut la porte d’entrée pour une plus grande prise en compte des discriminations en général.
- Des inégalités aux discriminations
En parallèle du festival, la ville est engagée dans la politique de la ville de longue date et un Atelier Santé Ville (ASV) est en place depuis 2004. Fin des années 2000, une demande de financement est déposée dans le cadre du Contrat urbain de cohésion sociale (CUCS) par Éric Verdier, psychologue communautaire et formateur. Il proposait une action de formation sur la question de l’articulation entre discriminations et santé en lien avec l’ASV. Cette rencontre représente une étape décisive dans la prise en compte des discriminations.
Les formations mises en place étaient centrées sur l’analyse des causes des violences envers soi ou les autres et mettaient en évidence le lien entre des discriminations subies et la santé des individus. Le modèle théorique était axé autour de 4 « postures humaines » – normopathe, bouc-émissaire, rebelle, pervers·e –, qui permettent de penser les rapports aux normes et les phénomènes de discriminations.
Ces formations étaient plutôt illustrées par le sexisme et l’homophobie, mais prenaient également en compte le racisme.
[1] Ce service s’appellera quelques années plus tard « Politiques transversales, solidarité, santé ».
[2] Cherbourg-Octeville est l’une des 5 communes de la communauté urbaine de Cherbourg. Cette communauté urbaine est devenue depuis 2016 la commune nouvelle de Cherbourg-en-Cotentin.
OBJECTIFS
- Se former (en interne) et former aux enjeux des discriminations, en les articulant spécialement à la santé
- Promouvoir et soutenir les actions de santé prenant en compte la dimension des discriminations
- Développer une culture commune entre les élu·es, les agent·es et les différents partenaires
Vers la prise en compte des discriminations dans l’ensemble des politiques locales
En premier lieu, la formation des élu·es et agent·es a été perçue comme essentielle.
Formation des élu·es et agent·es et ASV
2 sessions de formation de 5 jours ont donc été mises en place à l’échelle de la communauté urbaine de Cherbourg puis du département à destination des agent·es et élu·es.
Elles ont amené les professionnel·les de la CUC à interroger leur posture : « ce qui nous questionne en tant que professionnel·les, c’est toutes les injonctions, les habitudes qu’on a, d’assignation de genre, qui conduisent à un discours très hétéronormé dans nos interventions, et nous font passer à côté des violences ».
Dans ce contexte, l’ASV a été naturellement un élément moteur à partir duquel ont pu se mettre en place les formations : « c’était complètement dans les missions de l’ASV, ça entrait dans ses manières de faire : c’était multi-partenarial, partir de ce que vivent les habitant·es, se former en cassant un petit peu les murs. On était pile-poil dans les attentes d’un Atelier Santé Ville ». De plus, en termes de santé, il s’agissait de travailler sur « la prévention du suicide, la prévention des conduites à risques : c’était cette idée que les discriminations subies avaient des impacts en santé ».
Cela a permis de prendre conscience de formes de violences que l’on peut véhiculer sans s’en rendre compte et de développer une culture commune – entre agent·es et élu·es – autour du sujet des discriminations.
Les acteurs de la Politique de la Ville : un point d’appui
Ces formations se sont renouvelées et ont été soutenues dans le cadre du CUCS. En témoigne « le fait d’avoir formé des relais dans les quartiers prioritaires politique de la ville. Ils sont toujours présents et actifs et utilisent encore ces outils de lutte contre les discriminations dans les quartiers. Il y a quand même beaucoup plus de choses qui sont développées dans les quartiers politique de la ville sur ces questions-là qu’ailleurs. ».
Pour autant, les conditions d’accueil dans les structures de proximité de la Politique de la Ville, dans les maisons de quartier, restent un enjeu important :
« On est censé·e être accueillant·e, inclusif·ve et aussi faire vivre un lieu de proximité avec toute la diversité des personnes, mais ça pose des questions sur le travail de certain·es professionnel·les, qui n’étaient peut-être pas forcément bien formé·es. Ça nous questionne sur notre manière de faire, notamment en termes de développement social local, sur le fait qu’on n’arrive pas vraiment – alors que c’est notre mission – à faire en sorte que les lieux de la ville soient des lieux accueillants pour toutes et tous ».
Un portage politique fort
Le portage politique fort, notamment de la part des élu·es du pôle cohésion sociale, a permis d’assoir la prise en compte des discriminations dans les actions déployées sur le territoire.
A noter, qu’ « il n’y a pas eu de résistances du tout, au contraire », il y a eu un soutien des élu·es au déploiement de ces formations, pourtant relativement longues. Elles ont également rencontré du succès auprès des participant.es, qui étaient sur liste d’attente pour des prochaines sessions.
Un point essentiel : évolution de la gouvernance et déploiement de moyens
Cette mobilisation autour des discriminations est également liée à une évolution des configurations territoriales locales : « c’est aussi l’histoire de la commune nouvelle qui fait que tout s’imbrique ». Avec la création de la commune nouvelle de Cherbourg-en-Cotentin en 2016, la question des discriminations est apparue comme un enjeu majeur en matière de politique locale de santé. Cela a été, à plus long terme, « plutôt positif en termes de visibilité de la mission lutte contre les discriminations et de partenariats ».
C’est ainsi qu’un nouveau service « Santé handicap lutte contre les discriminations » a vu le jour, réunissant des grandes thématiques : la santé et la promotion de la santé, la lutte contre les discriminations, handicap et inclusion, mais aussi, par la suite, prévention de la délinquance et parentalité. Ce service, qui prend ensuite le nom de « Politiques transversales, solidarité, santé », est directement rattaché à la direction générale adjointe de la cohésion sociale.
Enfin, la création en 2017-2018 d’un poste de Conseillère technique « Lutte contre les discriminations » a accompagné cette direction et poursuivi le travail de formation auprès des agent·es.
Des partenariats à tisser
Au fur et à mesure la collectivité a donc développé une pluralité de partenariats avec des acteurs·trices institutionnel·les et associatifs afin de mettre en place et soutenir d’autres actions et formations :
- L’Éducation Nationale
- La Maison de l’Emploi et de la Formation (MEF)
- Des associations de quartier
- Des associations de lutte contre les LGBTIphobies…
Inscription dans la durée et culture commune
La création progressive d’une culture commune nécessite du temps : 20 ans d’actions ont permis :
« L’interconnaissance, le fait d’en discuter, de mieux connaître le phénomène, de se questionner sur ses propres discriminations permet de faire des bonds en avant. »
« C’est la première des choses à faire et qui passe forcément par la formation, qu’elle soit courte ou longue (plus elle est longue mieux c’est, parce que ça crée une dynamique, une confiance, une relation). Agent·es ET élu·es et pas forcément l’élu·e en charge des discriminations ou de la santé, l’élu·e à l’urbanisme est aussi important·e. La santé elle est partout et les discriminations elles sont partout. »
EXEMPLES D’ACTIONS
La mobilisation de la communauté urbaine de Cherbourg (CUC), puis de Cherbourg-en-Cotentin autour de la lutte contre les discriminations s’est traduite concrètement par un travail de sensibilisation (SISM, interventions dans les écoles) et diverses actions mises en place (accompagnements par la MEF, commissions logement, etc.). Les quelques exemples suivants illustrent cette implication, mais d’autres pourraient s’y ajouter, notamment l’appui aux associations qui luttent contre les LGBTphobies.
- Semaine d’Information sur la Santé Mentale (SISM) 2020
Dès sa création en 2011, le Conseil Local de Santé Mentale a travaillé, dans le cadre des SISM, sur la question de la déstigmatisation des personnes en souffrance psychique – en rapport avec l’accès ou le maintien dans le logement et l’accès aux soins.
Puis la crise Covid marque un tournant :
« Avant la SISM 2020, la question des discriminations était sous-tendue dans tout ce que le CLSM faisait (quand on parlait de vie affective et sexuelle, des personnes âgées dans les institutions, etc.). On en parlait, mais ce n’était pas mis en avant en tant que tel. Le thème de la SISM 2020 « Discriminations » et la crise Covid nous ont permis de poser cette question-là, de réfléchir ensemble, de revoir les critères de la loi, de voir ce qui était le plus parlant au niveau territorial. Nous avons organisé des petits temps d’échange en prenant en compte les migrant·es, les discriminations ethno-raciales. C’étaient des nouveaux partenariats aussi. Ces temps d’échanges ont été synthétisés sur une fresque « Discriminations et santé mentale » réalisée par un facilitateur graphique. Imprimée sur des bâches, elle devient un nouvel outil de valorisation, de réflexion et d’animation pour toutes les actions du CLSM »
- Éduquer à la diversité dans les écoles
De nombreuses interventions dans les établissements scolaires sont faites « autour des phénomènes de bouc-émissaire, mais aussi de l’éducation à la singularité et à la diversité. L’idée étant de faire prendre conscience aux enfants que la normalité n’existe pas et que chacun a sa place. Jamais des formations « one-shots », mais toujours au moins 4, 5 séances ».
Il faut amener « les enfants à se positionner autrement », à faire comprendre la façon dont « soi-même on peut être discriminant·e sans s’en rendre compte, et donc essayer d’être un peu vigilant·e ».
« Notre service est bien identifié comme partenaire par l’Éducation Nationale et les demandes d’interventions et d’accompagnement à la médiation par les pairs se multiplient, des temps qui permettent également d’aborder les questions de différence, la stigmatisation ou la discrimination. Nous allons proposer à nouveau des formations aux professionnel·les qui interviennent dans les établissement scolaires (animateur·trices jeunesse de la ville et des associations) à la médiation par les pairs pour qu’ils·elles puissent accompagner les établissements de leur secteur ».
- Sensibilisation des conducteurs de bus par le Groupe d’Entraide Mutuel
Le déploiement de temps d’information auprès des conducteur·rices de bus a permis de les sensibiliser aux différents handicaps et au droit aux transports en commun pour tou·te·s. Les associations de personnes handicapées et les adhérent·es du GEM Club M’Aide étaient parties prenantes dans cette action, témoignant des problématiques d’accès à l’espace public et des discriminations qu’ils·elles pouvaient subir dans les transports.
- Maison de l’Emploi et la Formation (MEF)
La MEF est une actrice majeure de la lutte contre les discriminations dans l’accès à l’emploi. Son équipe compte désormais sur une personne chargée de mission diversité – référente discriminations.
La structure a mené en 2009 une enquête par questionnaire auprès de demandeurs·euses d’emploi. 1/3 des 250 personnes ayant répondu estimaient être victime de discriminations selon des critères tels que l’âge, l’apparence physique (le poids) ou le sexe.
Cette enquête a permis de mettre en place un plan d’actions « Discrimin’action Cotentin Emploi », en copilotage avec la communauté urbaine et l’État, et qui se décline sur plusieurs axes :
- Accompagner le changement des mentalités – testing emploi, études sur l’égalité femmes-hommes, conférences-débats, etc.
- Accompagner les personnes concernées, en partenariat avec le/a Défenseur·e des droits et des avocat·es
- Développer des groupes d’échanges de pratiques professionnelles
- Mobiliser des acteurs·trices économiques : simulations d’entretiens, parrainages
Pendant 7 années les « Rencontres de la diversité » ont permis de faire un travail de sensibilisation auprès du grand public, des élu·es, des professionnel·les et entreprises.
- Commissions logement pour les personnes en souffrance psychique
Une commission multi-partenariale, qui réunit une pluralité d’acteurs·trices (social, logement, police, psychiatrie), aborde la question de l’accès et du maintien dans le logement de personnes diagnostiquées et suivies par la Fondation Bon Sauveur de la Manche, partenaire institutionnel de la psychiatrie dans le département. Elle permet une acculturation des participant·es au sujet des discriminations articulées à la question du logement, et l’accompagnement des personnes pour éviter l’expulsion.
RÉSULTATS
Mise en place progressive d’une politique locale de prévention et de lutte contre toutes les discriminations au moyen :
- Du déploiement de formations au sein de la collectivité à destination des agent·es et élu·es
- Du développement et de la diffusion d’une culture commune autour de l’articulation discriminations et santé, et mise en place d’actions avec des partenaires (CLSM, MEF, écoles, etc.)
Réflexions & questionnements
Toutefois demeurent des questionnements autour des articulations entre les discriminations et les inégalités sociales. Est-ce que la focale mise sur les discriminations ne risque pas d’occulter la lutte contre les inégalités sociales ? Ou, au contraire, de quelles façons la lutte contre les discriminations peut-elle contribuer à réduire les inégalités sociales, et notamment de santé ?
Toutes ces questions interrogent également la tendance à miser essentiellement sur le développement de compétences psycho-sociales pour faire face aux discriminations alors qu’il s’agit de phénomènes systémiques et institutionnels, quand bien même reste primordiale « l’éducation à la singularité et à la diversité dès le plus jeune âge ». Quelle est alors la responsabilité des orientations politiques ? Comment développer les compétences psycho-sociales en s’attaquant à des phénomènes plus globaux, qui se jouent aussi à l’échelle nationale… ?
Si un autre territoire souhaitait reproduire votre action, quels conseils lui donneriez-vous ?
- L’inscription de ces initiatives et actions dans le temps long
- La formation de toutes et de tous, agent·es, élu·es, partenaires à des formations croisées qui correspondent à plusieurs fiches de poste pour favoriser une culture commune, en interne (collectivité) et avec les partenaires
- Développer l’interconnaissance entre les différent·es partenaires (agent·es et élu·es de la collectivité, milieu scolaire, structures sociales et de proximité, de soin, etc.) et diffuser la connaissance du phénomène des discriminations (et la réflexivité sur ses propres pratiques)
FICHE-IDENTITÉ DE L’ACTION
Porteur de l’action :
- Service « Politiques transversales, solidarité, santé » de Cherbourg-en-Cotentin, directement rattaché à la direction générale adjointe de la cohésion sociale. Le positionnement directement supérieur de la DGS favorise la transversalité.
- Maison de l’Emploi et de la Formation
- Conseil Local de Santé Mental, etc.
Territoire d’intervention :
Cherbourg-en-Cotentin, agglomération du Cotentin
Cadre d’intervention politique dans lequel s’inscrit l’action :
Prévention de la discrimination et de ses effets, spécialement en matière de santé (violences, accès aux soins, logement, emploi, etc.).
Publics visés : sensibilisation/formations : agent·es et élu·es, professionnel·les, enfants à l’École ; accompagnement des personnes discriminées (travail, logement, accès aux soins)
Partenaires opérationnels :
Associations de quartier, Éducation Nationale, Maison de l’Emploi et de la Formation, etc.
Partenaires financiers :
Politique de la Ville, Agence Régionale de Santé
Précisez la gouvernance de l’action :
Le déploiement et pilotage d’actions autour des discriminations se fait à partir du service « Politiques transversales, solidarité, santé » de Cherbourg-en-Cotentin. Il est directement rattaché à la Direction générale adjointe de la cohésion sociale.
TERRITOIRE
Votre action s’inscrit-elle dans une dynamique territoriale de santé ?
X Un Atelier Santé Ville
X Un contrat local de santé
X Un conseil local de santé mentale
X Autre (précisez : Plan municipal de santé)
Le territoire est-il couvert par un contrat de ville ?
X Oui
Non
Ne sait pas
Si oui, votre action s’inscrit-elle dans le contrat de ville ?
X Oui
Non
Ne sait pas
AUTRES RESSOURCES
Voir la Fresque « Discriminations et santé mentale » issue de la SISM 2020
CONTACT RÉFÉRENT
Prénoms Noms – Fonctions
- Florence Dubois, Directrice de la santé et des solidarités, ville de Cherbourg-en-Cotentin
- Sylvette Ronque, Chargée de projets Promotion de la santé, ville de Cherbourg-en-Cotentin
- Amélie Bernard, Référente santé mentale, Fondation Bon Sauveur de la Manche, et co-animatrice du CLSM, ville de Cherbourg-en-Cotentin
- Charline Saussaye, Chargée de mission diversité, Maison de l’Emploi et la Formation du Cotentin
Structures
- Ville de Cherbourg-en-Cotentin
- CLSM et ses 3 copilotes : Ville de Cherbourg-en-Cotentin, Fondation Bon Sauveur de la Manche, GEM Club M’Aide Nord Cotentin
- Maison de l’Emploi et de la Formation
Mails
Mis à jour en mars 2022