Suite à un nombre élevé de tuberculoses découvertes en 2011 et à l’organisation d’un dépistage de grande ampleur, la ville de Clichy-sous-Bois a renforcé son action pour la prévention et l’accès aux soins des primo-arrivants. Avec l’appui des médiatrices sociales et culturelles, la ville, en co-pilotage avec le département, a ouvert une consultation hebdomadaire conçue comme une porte d’entrée pour intégrer un parcours de santé. 

> PROBLÉMATIQUE : Comment répondre aux besoins de santé des primo-arrivants ? Pourquoi intégrer une dimension de médiation à la démarche territoriale de santé ?

 

Présentation de l’ASV

Structure porteuse : commune de Clichy-sous-Bois (service Santé)

Co-financements : ville, DDCS, ARS

Ressources humaines : 1 ETP

Historique et contexte : Clichy-sous-Bois compte plus de 30 000 habitants et présente des indicateurs de précarité préoccupants : 65,3 % des ménages non-imposables, un taux de chômage à 23,5 %, 70 % des habitants bénéficiaires d’allocations de la CAF. 80 % du territoire est retenu au titre de la géographie prioritaire de la politique de la ville et l’IDH2 (0,23) de la ville est le plus faible du département de Seine-Saint-Denis.

Concernant le champ de la santé, la ville est une zone déficitaire en médecins généralistes. Un ASV a été créé dès 2001 et développe sa programmation à l’échelle de la ville.

Intégration dans le contrat de ville : l’ASV de Clichy-sous-Bois est l’un des pilotes désignés du volet santé du contrat de ville de l’agglomération Clichy-sous-Bois/Montfermeil 2015-2020.

Autres dispositifs locaux en santé publique : depuis 2012, un contrat local de santé (CLS) est mis en œuvre et piloté par le groupement hospitalier Le Raincy-Montfermeil. Depuis 2015, la coordination  couvre les CLS des villes de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil, soit 10 fiches actions communes. En complément, chaque CLS communal comptent 6 axes spécifiques au territoire de Clichy-sous-Bois (animés par l’ASV) et 2 axes particuliers à Montfermeil (animés par le service santé de la ville).

 

Éléments-cadre du projet présenté

Échelle d’intervention du projet : ville

Partenaires du projet : ARIFA (association de médiation sociale et culturelle de Clichy-sous-Bois et Montfermeil), conseil départemental de Seine-Saint-Denis (service prévention et actions sanitaires, protection maternelle et infantile, service social départemental)

Public cible : habitants primo-arrivants, en particulier les plus éloignés du système de santé

Durée du projet : en cours de mise en œuvre

Co-financements du projet : ARS, ville, conseil départemental

 

Histoire du projet

L’organisation d’un dépistage de grande ampleur de la tuberculose en 2011

En 2010-2011, un nombre anormal de cas de tuberculoses a été répertorié dans le quartier du Chêne-Pointu de Clichy-sous-Bois. Face à chaque cas d’infection tuberculeuse, le centre départemental de dépistage et prévention sanitaire (CDDPS) est chargé de rechercher le contaminateur et les éventuelles autres personnes infectées. L’enquête se fait en cercles concentriques autour du cas (contacts étroits, réguliers, occasionnels). Alors que la recherche du ou des adultes contaminateurs a été infructueuse, il a été décidé de mener un dépistage élargi à l’ensemble du quartier.

Au cours de l’été 2011, le CDDPS, en lien étroit avec l’ASV de Clichy-sous-Bois, a informé et sensibilisé acteurs intervenants sur le quartier (associations, gardiens d’immeuble, responsables religieux, …) sur la maladie, les modalités de dépistage et la prévision d’un dépistage élargi à l’automne. En parallèle, toutes les familles des adresses concernées se rendant à la PMI ont pu se faire dépister. Mais, de nouveaux cas s’étant déclarés, un dépistage élargi à l’ensemble des habitants du quartier a été organisé à l’automne 2011, au sein d’un gymnase et des écoles du quartier. L’objectif de ce dépistage élargi était de briser la chaîne de contamination.

Dans ce contexte inédit et d’incertitude, les partenaires se sont mobilisés et coordonnés rapidement, tant au plan stratégique qu’opérationnel. L’urgence de la situation a permis de lever des blocages et freins institutionnels.

En amont, un important travail d’information et de sensibilisation, en particulier pour répondre aux peurs de la maladie et de la stigmatisation, a été mené. Les médiatrices sociales et culturelles de l’association ARIFA ont eu un rôle indispensable dans la mobilisation des publics : connaissant les habitants, les réseaux et prenant le temps de répondre aux interrogations et d’accompagner, elles ont été une interface indispensable entre les institutions et les habitants pour la réussite de ce dépistage.

Une évaluation qualitative a été menée par le conseil départemental. Elle souligne que « la collaboration avec les acteurs de terrain et la médiation socioculturelle a été indispensable pour connaître les réseaux sociaux et reconstituer les grappes de cas. Le regroupement de certains cas a permis de poser des hypothèses sur l’existence de structures informelles de solidarité, non identifiées alors, et pouvant expliquer la contamination de cas isolés »*. En bref, l’évaluation synthétise les résultats ainsi :

« Au total, cette situation inédite génère une réactivité des professionnels, des associations et des institutions. Elle mobilise un important réseau local, s’appuyant sur des partenariats construits : ville, associations, professionnels intervenant sur le quartier, … En dépit de certaines critiques ayant trait à l’organisation, on constate un enthousiasme des professionnels et des associations ayant participé à cette action vécue comme ‘inédite’. La charge de travail générée, importante et probablement sous-estimée, est toutefois à prendre en compte. Le dépistage au sein du quartier du Chêne-Pointu, par son ampleur, met nécessairement en lumière des dysfonctionnements, parfois anciens. Il offre ainsi des perspectives d’amélioration ou d’évolution en termes de stratégie. »**

D’une réaction d’urgence à une approche globale sur la santé des primo-arrivants

La mobilisation d’une trentaine de partenaires pour l’action de dépistage élargi et son succès ont poussé les acteurs à s’interroger sur les suites d’une telle action et les besoins de la population en prévention et accès aux soins. Le coordonnateur ASV explique que « la situation d’urgence, puis le dépistage ont déclenché une prise de conscience des partenaires sur les difficultés des primo-arrivants, notamment sur l’habitat dégradé ». En effet, le quartier du Chêne-Pointu compte de nombreuses copropriétés dégradées, avec peu de visibilité et de suivi sur ses occupants. Or, le logement est un déterminant crucial dans l’incidence et la propagation de la tuberculose.

Dès lors, comment proposer une action de prévention plus globale ? Au-delà des dépistages divers (tuberculose, IST, VIH et hépatites), c’est la question de l’accès aux droits qui se pose : l’accès à la protection sociale est apparu comme un fort obstacle pour accéder à la prévention. L’évaluation qualitative a montré que le dépistage élargi avait pu être pour les habitants un « tremplin vers un parcours de santé », grâce à l’accompagnement par les médiatrices en amont et en aval et la présence d’assistantes sociales au gymnase lors du dépistage.

Le développement d’un parcours santé pour les primo-arrivants

Ce projet vise spécifiquement les habitants primo-arrivants (présents sur le territoire depuis moins de cinq ans) dans le contexte démographique spécifique de Clichy-sous-Bois : forte présence d’habitants étrangers et flux régulier de primo-arrivants. Les études épidémiologiques montrent que le taux de découverte de la tuberculose est 8 fois plus élevé chez les personnes immigrées et que le risque diminue à mesure de l’ancienneté de l’arrivée en France. 

De plus, le diagnostic local de santé a montré une forte précarité socio-économique des primo-arrivants, des difficultés dans la maîtrise du français et des codes administratifs, d’où un moindre recours aux soins.

Afin de conforter la mobilisation autour du dépistage de la tuberculose et d’accompagner les habitants vers un parcours de santé, plusieurs actions ont été développées.

Depuis 2014, une antenne du centre d’examen de santé de Bobigny a été délocalisée à Montfermeil (Cap Prévention Santé), ce qui lui assure une meilleure accessibilité pour les habitants de Clichy-sous-Bois. Les médiatrices de l’ARIFA proposent des accompagnements pour réaliser des bilans de santé gratuits et les examens complémentaires.

De plus, une consultation hebdomadaire, assurée par l’équipe médicale du département et localisée au service santé de Clichy-sous-Bois est ouverte aux primo-arrivants. La consultation est orientée vers la notion de parcours de santé : il s’agit de mieux articuler prévention, soins et médico-social. L’approche est individuelle et globale : les professionnels doivent travailler ensemble pour apporter des réponses dans différents champs qui, parfois, ne relèvent pas stricto sensu de la santé.

La quasi-totalité des personnes vues à la consultation n’a pas de droits de protection sociale ouverts, condition nécessaire pour ensuite intégrer le droit commun. C’est pour cette raison qu’une assistante sociale est présente aux consultations.

Le repérage des primo-arrivants et l’orientation vers la consultation se fait via 3 voies :

  • l’Office français de l’immigration et de l’intégration – avec l’organisation d’une visite médicale de prévention, d’une radio des poumons et la remise d’une liste des centres de vaccinations,
  • le centre de vaccinations (chaque enfant doit présenter une attestation pour l’inscription à l’école),
  • la PMI.

Pourtant, il est probable que l’ensemble du public éloigné du système de santé ne soit pas touché, du fait du fort turn-over de la population.

Les médiatrices sociales et culturelles : un intermédiaire incontournable

La médiation a pris tout son sens dans la mobilisation de 2011 pour le dépistage de la tuberculose, et les médiatrices de l’ARIFA ont eu un rôle moteur dans l’ouverture de la consultation pour les primo-arrivants. Elles ont su démontrer aux professionnels les besoins, puis ont accompagné les habitants à se saisir de cette nouvelle offre sur le territoire.

Les médiatrices sont garantes d’une approche globale, puisqu’elles abordent les questions relatives à l’ensemble des conditions de vie des personnes (logement, démarches administratives, santé, inscription des enfants à l’école, …) : « dans l’accueil du public, on ne peut pas cloisonner les problématiques ».

Grâce à la connaissance fine des populations et l’accompagnement des publics, le recours à la médiation donne des résultats significatifs pour faciliter l’accès aux droits des habitants. Les médiatrices lèvent des freins dans des démarches individuelles, mais aussi collectives en jouant le rôle d’interface entre les habitants et les institutions.

Les médiatrices ont enfin un pouvoir d’interpellation des institutions. Par exemple, l’ARIFA a formé les professionnels de la Préfecture (direction de l’immigration et de l’intégration), afin d’améliorer les pratiques à l’accueil des migrants.

Une reconnaissance institutionnelle à travers le Contrat local de santé

Le CLS préfigurateur signé en 2012 comptait une fiche-action sur le dépistage de la tuberculose. Le CLS 2015-2017 ne l’a pas reconduite, mais propose une fiche-action sur le « parcours de santé pour les primo-arrivants ». Les médiatrices sociales et culturelles sont identifiées comme un partenaire opérationnel. En effet, la forte mobilisation autour de la tuberculose a permis aux multiples acteurs du territoire de constater et reconnaître la plus-value forte apportée par le travail des médiatrices. Le CLS contient également une fiche-action pour le renforcement de la médiation sociale et culturelle. Cette dernière action est portée par l’ARIFA et se décline notamment par des formations destinées aux professionnels.

Cependant, la reconnaissance institutionnelle reste ambigüe, puisqu’elle ne s’accompagne pas toujours de financements pérennes, ce qui fragilise fortement la médiation.

* F. Mangin, C. Douay, M. Vincenti, C. Debeugny, Outils et analyse partagés avec les acteurs pour comprendre des cas groupés de tuberculose à l’échelle micro-locale, Conseil départemental de Seine-Saint-Denis

** idem

 

Résultats

  • Lors du dépistage élargi mené en 2011 sur un quartier, 3193 personnes dépistées (soit 39 à 64 % de la population selon la base de population du quartier considéré)
  • Globalement pour la santé des familles primo-arrivantes :
    • Amélioration de l’offre de santé (prévention et soins) pour les primo-arrivants : ouverture d’une consultation hebdomadaire et délocalisation d’une antenne du centre d’examen de santé de Bobigny
    • Ouverture des droits de santé facilitée
  • Renforcement des partenariats institutionnels et opérationnels (ville, services du conseil départemental, préfecture, associations locales, médiatrices sociales et culturelles), à travers des formations croisées et une clarification des compétences de chacun et des coopérations

 

Bonnes pratiques

  • Un appui fort sur la médiation sociale et culturelle
  • Une combinaison entre les niveaux opérationnels, administratifs et politiques pour lever les blocages et fluidifier les coopérations interinstitutionnelles
  • Une coordination qui s’appuie sur une équipe (et non sur une seule personne)
  • Une articulation entre les institutions selon leurs champs de compétences
  • Une approche globale de la santé des primo-arrivants et leur famille, concrétisée dans une offre polyvalente

 

Ressources documentaires sur le dépistage de la tuberculose à Clichy-sous-Bois

  • Collectif Santé Ville d’Île-de-France, Synthèse des visites sur site 2013 (téléchargeable)
  • Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, Outils et analyse partagés avec les acteurs pour comprendre des cas groupés de tuberculose à l’échelle micro-locale (téléchargeable)
  • Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, Évaluation d’une action de dépistage des maladies infectieuses auprès des familles migrantes primo-arrivantes à Clichy-sous-Bois (téléchargeable)
  • Mathilde Marnier, Évaluation qualitative du dépistage élargi la tuberculose dans le quartier du Chêne Pointu à Clichy-sous-Bois, mai 2012 (téléchargeable)

 

Ressources bibliographiques sur la médiation

 

Contacts

Michel Fikojevic, coordonnateur ASV

michel.fikojevic@clichysousbois.fr / 01 43 88 83 69

Isabelle Gamiette, directrice de l’ARIFA

isabelle.gamiette@arifa.fr / 01 43 51 85 41

[/accordion]

Récit rédigé, en février 2017, par la PnrASV, à partir d’échanges avec Michel Fikojevic, coordonnateur ASV, Isabelle Gamiette, directrice ARIFA et Pinda Kanne, médiatrice sociale et culturelle ARIFA.

Télécharger ce récit sous format pdf