L’Atelier santé ville d’Aubervilliers a construit un programme global de promotion du bien-être psychique du jeune enfant (0-3 ans) sur deux quartiers prioritaires. Développant une logique d’universalisme proportionné, le programme repose en particulier sur des visites à domicile. Son évaluation a démontré l’efficacité du dispositif. 

> PROBLÉMATIQUE : quelle offre proposer sur un territoire présentant de forts indicateurs de vulnérabilité économique et sociale et disposant de peu de structures de petite enfance ?

 

Présentation de l’ASV

Structure porteuse de l’ASV : Commune d’Aubervilliers (Service communal d’hygiène et de santé, puis Direction de la santé publique depuis 2013)

Co-financements de l’ASV : DDCS, Ville, ARS

Ressources humaines : 1 ETP

Coordonnatrice ASV en poste à la création du projet : Pilar Giraux

Historique et contexte : Aubervilliers compte 77 000 habitants ; 90% vit dans les quartiers dits prioritaires. La ville est marquée par une très forte précarité (un des IDH-2 les plus faibles de France, 41% de la population est sans diplôme, …).

La commune a historiquement développé une politique en faveur de la promotion de la santé et de la santé communautaire (mise en place d’un Centre municipal de santé dès les années 1960, travail important sur le saturnisme, …). Aubervilliers a été l’un des premiers sites pilotes pour la mise en place des ASV, en 2001. L’ASV est alors apparu comme un outil complémentaire permettant de travailler sur des sujets choisis par les habitants eux-mêmes : il s’est centré pendant ses premières années sur les problématiques de santé mentale. L’ASV s’appuie sur le Pôle Promotion de la Santé (dont la chef de service est également coordonnatrice de l’ASV), intégré à la Direction de la Santé publique depuis 2013. L’ensemble de l’équipe du Pôle, soit 8 personnes, travaille sous l’égide de l’ASV, du fait du contexte territorial particulier.

Il faut noter que sur les questions de santé le tissu associatif est très peu développé, ce qui explique que l’ASV soit majoritairement porteur des actions qu’il développe.

Intégration dans la politique de la ville : le nouveau contrat de ville 2015-2020 de la communauté d’agglomération Plaine Commune développe un volet consacré à la santé, dans lequel les ASV du territoire sont les pilotes des objectifs opérationnels.

Autres dispositifs locaux en santé publique : Aubervilliers a signé un CLS de préfiguration en 2012, puis un CLS renforcé en 2015 (le comité de pilotage du CLS est mutualisé avec celui de l’ASV). L’ASV intègre le CLS, centré sur deux axes la participation citoyenne et les populations les plus vulnérables. Aubervilliers coordonne également un CLSM (ces deux dispositifs sont respectivement pris en charge par 0,5 ETP). De plus, un Observatoire local de santé est opérationnel depuis 2015.

 

Éléments-cadre du projet présenté

Échelle d’intervention du projet : le quartier Paul Bert et un secteur voisin du quartier Quatre chemins classé zone urbaine sensible (plus de 10 000 habitants)

Partenaires du projet : service social municipal, service municipal Petite enfance, Protection maternelle et infantile (PMI), un centre de loisirs maternel, une école maternelle, Centre municipal de santé, Centre médico-psycho-pédagogique (CMPP), association Solidarité Emploi Aubervilliers, CAF, Sessad (Service d’éducation et de soins spécialisées à domicile)

Public cible : femmes enceintes, parents et leurs enfants jusqu’à 3 ans

Durée du projet : programme lancé en 2005, évalué en 2012

Co-financements du projet : Acsé (Projet réussite éducative), Groupement régional de santé publique (GRSP) Île-de-France, Conseil départemental (anciennement Conseil général), commune, Caisse des écoles

Ressources humaines dédiées au projet : 1 ETP puéricultrice, 0,5 ETP psychologue, 0,3 ETP médecin coordinateur (médecin de santé publique-psychiatre)

 

Histoire du projet

La construction partenariale d’un programme global pour le bien-être des jeunes enfants

Coordonné, à sa création, par une médecin de santé publique psychiatre, l’ASV s’est axé sur la thématique de la santé mentale. Il est ressorti d’un groupe de travail Santé mentale les difficultés rencontrées par le secteur social de prise en charge de symptômes de santé mentale qui ne relèvent pas nécessairement du champ de la psychiatrie. De plus, des travaux de recherche ont établi un lien entre la précarité sociale des parents, l’environnement et l’état de santé des enfants. En parallèle, le ministère de la Santé souhaitait développer une expérimentation sur la prévention précoce : le territoire d’Aubervilliers et la dynamique impulsée par l’ASV sont apparus comme une opportunité.

Le but du projet est de promouvoir les conditions psychosociales favorisant le développement psychologique, affectif, cognitif et social des jeunes enfants (0-3 ans) exposés aux inégalités sociales et à la précarité. Le projet repose sur la mobilisation des principaux partenaires concernés et sur une approche communautaire.

Pour l’ASV d’Aubervilliers, l’enjeu a été de « définir un programme adapté au territoire, et non greffer une méthode ». À partir de 2002, les partenaires de l’ASV ont réalisé un diagnostic partagé « en marchant » (inventaire des ressources locales et mise en place d’un réseau des partenaires) et une revue de littérature internationale, avec le soutien technique de la Fondation de la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN) pour la santé publique. Suite à ce temps d’analyse préliminaire, la construction du programme s’est appuyée sur des programmes évalués et validés scientifiquement (Prenatal and early childhood nurse home visitation program aux États-Unis et Starting well à Glasgow) pour conforter les bases éthiques, conceptuelles, méthodologiques et opérationnelles du projet, et sur l’expérience des acteurs locaux (PMI, CMPP, service social).

Quatre approches théoriques ont été choisies pour cadrer le projet :

  • Empowerment et participation communautaire : reconnaître l’expérience subjective des personnes comme expertes de leur propre vie ; 
  • Modèle d’auto-efficacité : la perception des individus sur leur propre efficacité influence leurs choix face aux difficultés ; 
  • Approche socio-environnementale : prise en compte de l’ensemble des facteurs pouvant influencer la santé de l‘enfant : ressources disponibles sur le quartier et problèmes rencontrés par les habitants, notamment liés au logement ; 
  • Théorie de l’attachement : les compétences parentales d’une personne influent sur la forme d’attachement et le sentiment de sécurité qu’acquerra son enfant. 

Le portage du projet est assuré par le Service Hygiène et santé, un « service aguerri » comme le relève le rapport d’évaluation de 2012, ce qui a permis de s’appuyer sur une expertise locale.

Le Comité de pilotage (COPIL), coordonné par l’ASV, compte des représentants de la Protection maternelle et infantile (PMI), du Service municipal petite enfance, des Centres de loisirs maternels, du Centre médico-psychopédagogique (CMPP), du Service municipal Vie des quartiers, de la Caisse d’allocations familiales (CAF), du Service social municipal, de la Direction enfance, jeunesse, sports, de l’École maternelle Anne Sylvestre et du Programme  de réussite éducative (PRE). Il est en charge du suivi du programme et décide des ajustements, selon les besoins formulés des parents et des professionnels.

Par exemple, des objectifs sont apparus au cours de la mise en œuvre du programme : les visites à domicile ont permis de repérer des problématiques liées au logement (exigüité, insalubrité, habitat indigne, …) ; face à ces constats, un travail a été mené avec les cellules d’hygiène et de lutte contre le saturnisme de la ville et le service social municipal.

Trois axes d’intervention ont été retenus suite au diagnostic local et à la revue de littérature :

  • Des visites à domicile proposées systématiquement aux parents du territoire cible à partir du dernier trimestre de grossesse ; 
  • Des accueils parents-enfants et d’autres activités collectives ; 
  • Des activités de formation et d’échange inter-partenarial pour les professionnels du quartier. 

Le projet articule un ensemble d’actions axées sur une approche de santé communautaire : il mise sur la mobilisation de partenaires et la participation active des familles concernées. Ces familles sont ciblées selon leur adresse : le ciblage territorial a été préféré à un ciblage individuel pour faciliter des actions sur le soutien social et réduire le risque de stigmatisation.

Le périmètre du programme est une zone prioritaire ayant le nombre de naissances le plus élevé de la ville, marquée par une mixité de la population quant aux pays d’origine, une proportion importante de jeunes parents en conditions de pauvreté, une moindre mobilité de la population et une quasi-absence d’équipements petite enfance (quartier Paul Bert et un secteur du quartier Quatre Chemins-Villette). Cette échelle est fonction des moyens alloués au projet.

Dans ce périmètre, le public cible est les femmes enceintes, couples et familles incluant si nécessaire la fratrie. Les femmes enceintes sont contactées au cours du 2e trimestre de grossesse et peuvent bénéficier de l’accompagnement jusqu’aux 3 ans de l’enfant.

1/ Les visites à domicile, pierre angulaire du programme

Les visites à domicile sont mises en place à partir de 2005 et menées par une infirmière et/ou une psychologue. La participation des familles au programme est volontaire.

Le but de ces visites à domicile est de faciliter et/ou renforcer les comportements positifs pour la santé durant la grossesse et les premières années de l’enfant en insistant sur quatre éléments : les soins adaptés à l’enfant (nutrition, prévention des accidents domestiques, …), le développement personnel de la mère (planification familiale, retour aux études ou au travail, …), des liens familiaux solides et des appuis au niveau social, le lien avec les ressources locales (PMI, services de santé, organismes sociaux).

Un travail sur l’attitude professionnelle à adopter lors des visites a été mené en amont par des puéricultrices de PMI ayant une expérience importante de ce type d’intervention, des médecins de PMI et du Centre municipal de santé. Cela a abouti à un protocole des visites insistant sur les aspects éthiques de ces visites (présentation globale du programme, secret professionnel, relecture des dossiers de visites avec les parents).

Les visites à domicile permettent d’apporter aux parents des informations pour mieux comprendre l’influence de certains comportements sur leur propre santé et sur la santé et le développement de leur bébé. Lors des visites, les professionnels aident les parents à se donner des objectifs réalistes autour de petits changements réalisables qui, une fois accomplis, augmentent le réservoir des parents en expériences réussies. Ces succès vont, par la suite, renforcer la confiance des jeunes parents et les aider à se fixer de plus grands défis (selon la théorie de l’auto-efficacité).

La réussite des interventions à domicile repose sur la qualité du lien et de la confiance établie entre les visiteuses et les familles : la construction d’une relation empathique et d’un rapport compréhensif plutôt que didactique.

2/ Les actions collectives

  • Accueil parents-enfants (à partir de 2007) : en partenariat avec le centre de loisirs de l’école maternelle du quartier, il s’agit d’un lieu d’accueil gratuit pour les jeunes enfants et leurs parents ou adultes qui les accompagnent (une après-midi par semaine). 
  • Ateliers sociolinguistiques (à partir de 2008) : en partenariat avec l’Association Solidarité Emploi d’Aubervilliers (ASEA), ces ateliers sont destinés aux jeunes parents primo-arrivants. Les ateliers ne sont pas un strict cours d’alphabétisation, mais doivent permettre de favoriser une meilleure compréhension et lisibilité des codes socioculturels français, des dispositifs de prévention et de soins et des fonctionnements administratifs et sociaux. Il s’agit de renforcer l’autonomie des parents et favoriser leur insertion sociale en tant que parents et citoyens. Les sujets abordés sont choisis en coordination avec les visiteuses du programme et la PMI. Le service municipal Petite enfance assure un accueil pour les jeunes enfants pendant le temps de l’atelier. 
  • Ateliers de socialisation : en complément, sont organisés avec les familles participantes au programme des sorties culturelles, des pique-niques, des groupes de discussion informels… dans le but de les aider dans la construction et la consolidation d’un réseau social de qualité. 

3/ Le renforcement du réseau professionnel sur le quartier

Dès 2003, des journées de formation ont permis de constituer le réseau de partenaires et d’amorcer la co-construction du programme : elles ont reposé sur une mutualisation d’expériences entre professionnels et des apports de connaissances sur l’approche communautaire et la promotion de la santé.

Pendant la mise en œuvre du programme, une réflexion collective se poursuit autour des problématiques liées aux conditions de vie des familles. Tous les mois, les professionnels intervenant sur le quartier auprès des familles se réunissent et sont accompagnés par un psychologue-psychanalyste.

Une évaluation fine du programme 

Une évaluation ex post a été menée, entre 2010 et 2012, par des consultants extérieurs et soutenue par l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé (Inpes) et un Comité technique d’évaluation. Ses objectifs étaient d’évaluer l’impact sur le système local et sur les familles et les enfants et de proposer des esquisses de modélisation. L’évaluation du programme a été envisagée dès sa conception, puisque l’expérimentation interrogeait sa généralisation.

L’évaluation qualitative, menée sur un échantillon de 40 familles, a relevé une « grande satisfaction des familles visitées », la capacité du programme à adapter les interventions aux problématiques familiales et proposer une approche globale, une amélioration du bien-être des familles qui favorise l’amélioration du bien-être psychique des jeunes enfants.

 

Résultats (issus du rapport d’évaluation)

  • Sur 712 familles contactées, 506 ont bénéficié d’au moins une première visite à domicile (soit 71,1%), 237 familles ont été suivies.
  • L’accompagnement des familles a été respectueux des identités et des rôles parentaux, grâce à la place accordée aux parents (expression de leurs besoins et de leurs façons de voir et de faire). 
  • L’isolement social des mères, en particulier les migrantes, s’est réduit. 
  • Le bien-être des familles qui favorise le bien-être psychique des jeunes enfants s’est amélioré.
  • Le programme constitue une réponse concrète pour la mise en œuvre du Programme régional d’accès à la prévention et aux soins (PRAPS) et apporte des pistes d’actions sur la problématique de la souffrance psycho-sociale. 

Source : Synthèse du rapport d'évaluation du programme de promotion du bien-être psychique du jeune enfant à Aubervilliers

Source : Synthèse du rapport d’évaluation du programme de promotion du bien-être psychique du jeune enfant (0-3 ans) à Aubervilliers

 

Perspectives

  • Depuis l’évaluation de 2012, le projet a évolué vers un Programme Petite Enfance et se poursuit sur les deux secteurs prioritaires ciblés. Il ne se généralise pas faute de moyens structurels. Les instances de pilotage sont maintenues. Les actions se sont renforcées ou ajustées : des médiatrices chinoise et tamoule participent aux visites à domicile, des liens ont été créés avec de nouvelles structures, dont la maternité privée et le centre municipal de santé (présentation et information sur le Programme).
  • En 2015, 61 familles ont été suivies dans le cadre des visites à domicile (renforcement du nombre de visites à domicile par famille).

 

Bonnes pratiques

  • Un programme axé sur la promotion de la santé et le bien-être, et non sur le dépistage et le traitement de pathologies (promotion du  bien-être plutôt que prévention des troubles).
  • Un travail sur le lien entre les conditions d’exercice de la parentalité et les problématiques de précarité : par exemple, aides apportées sur des problèmes de logement.
  • Un ciblage d’un territoire géographique, et non individuel : cela favorise le travail inter-partenarial, diminue le risque de stigmatisation, facilite la mise en place d’actions visant à renforcer le soutien social et l’empowerment collectif.
  • Une participation active des parents privilégiée, en particulier dans les visites à domicile. Cela permet une adaptation rapide du programme aux besoins exprimés, d’une part par les parents, d’autre part par les professionnels. 
  • Un rôle central de l’atelier sociolinguistique comme espace de socialisation et d’apprentissage.
  • Un portage politique fort par la ville.

 

Ressources bibliographiques

« Promouvoir la santé dès la petite enfance. Accompagner la parentalité » (Inpes)

Pour plus de précisions sur l’histoire du programme, voir le rapport d’évaluation et la synthèse

 

Contacts

Marianne MAILLOUX, responsable du Pôle Promotion santé, marianne.mailloux[at]mairie-aubervilliers.fr, 01.48.39.50.35

Colette PEJOUX, responsable du Programme Petite Enfance, colette.pejoux[at]mairie-aubervilliers.fr, 01.48.39.53.82

 

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